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Sixième message à nos chers alsaciens et alsaciennes

Le Temps dans le temps de l’épidémie.

On le sent tous dans le respect précis du confinement : l’espace clos nous travaille. Nous n’y sommes pas ou peu habitués même si, pour certains, nous aimons son confort et sa protection.

Nos rares sorties hors de cet espace, la distance pour les courses et la course, par exemple, le trajet pour aller travailler ou aider, se trouvent marqués par cet espace originel auquel on revient comme le boomerang à son lanceur.

De cet espace, on parle beaucoup et on échangera encore davantage ces prochains mois parce qu’il se vit intensément qu’il soit une surface réduite dans un voisinage éprouvant ou un volume trop vaste empli d’une solitude accablante.

Sur la ligne horizontale de l’espace, nous avons toutes les situations humaines de l’extrême abandon à l’éprouvante promiscuité.

Et pourtant, avec ou malgré l’obsession de l’espace, chacun ou chaque mini-société confinée sur elle-même vit aussi la dimension verticale de son existence. En parlant de la dimension verticale n’allons pas trop vite à la transcendance du divin. Mais considérons avant tout la transcendance du temps.

Qu’on soit posé dans son appartement étroit ou assis dans son vaste parc, l’instant est exactement identique pour tous. Seule la façon de l’assumer diffère.

Et par cette différence s’introduit ensuite la divergence d’appréciations que nous portons sur le temps, divergence qui peut exister dans une même famille vivant la même chose : temps long (qui dure avec plénitude), temps lent (qui n’en finit de nous user), temps invisible (qu’on ne voit pas passer), temps pressé (qui nous manque).

Bref, pour les uns temps d’ennui, pour d’autres temps béni… à la mi-temps de ce confinement, on trouve déjà tous ces cas de figure autour de nous.

Dégageons bien la question. On ne peut pas jouer sur l’espace du confinement que nous avons choisi ou pas choisi. On ne peut ni pousser les murs ni ouvrir des fenêtres.

Concernant l’espace, la sagesse veut qu’on fasse avec. Mais que fait-on du temps, de son temps ? Comment vivre nos instants et leurs synthèses, la journée, la semaine ou la période tout entière qui se dessine jusqu’au 11 mai ?

Vivre mal ou vivre bien le temps relève de la dimension psychologique. Il n’est pas certain qu’on puisse aider son prochain à ce niveau car on ne maîtrise pas le psychisme, ou à la marge.

En revanche, il semble qu’on puisse l’aider à prendre conscience de l’importance du temps et qu’à défaut d’être toujours bon, il ne soit jamais perdu.

Le premier risque sera donc la tentation de mettre ce temps singulier entre parenthèses. C’est un risque voire un danger car la maltraitance ou le mépris du temps ne va pas conduire à l’essentiel, en tous cas pas à l’essentiel profondément humain qui grandit l’homme.

On a le désir de le mettre entre parenthèse parce qu’il s’imprime comme une période terrible qu’on ne peut regarder en face : trop angoissante (car on pense à l’avenir), trop humiliante (car on est renvoyé à des limites), trop sournoise (car révélatrice des fragilités).

On ne peut alors regarder le temps qu’en tant qu’ennemi à abattre : on le désire le plus court possible, on le souhaite le moins marquant possible. Ça fera partie des « mauvaises périodes » de l’existence, comme un drame ou une maladie qu’on supporte mais sans vraiment les vivre.

Et même si ce temps de l’épidémie et du confinement ne se présente pas sous un visage terrible, il peut être évacué parce qu’il diffère trop de la vie normale et qu’il n’apparaît pas immédiatement utilisable pour la suite.

Une sorte de période non existante, à part, avec un parfum de vie suspendue qui le met hors du temps sérieux. On n’en souffre pas particulièrement mais on vise déjà sa fin, on le juge inutile, du temps perdu. Vite ! On s’en débarrasse…

Or chaque jour a sa valeur, chaque seconde son prix. Dieu, pour ceux qui y croient, n’attache pas moins de poids à ce temps-là qu’à d’autres que nous maîtrisons mieux.

IL peut s’y passer des choses sublimes ou infimes : que sait-on sur le moment, ce qu’il va générer dans le reste de notre vie et pour la vie éternelle ?

Plutôt que de subir nous pouvons ne rien perdre et structurer ce temps.

Structurer l’instant par le soin qu’on y apporte, même s’il est passé devant une bonne distraction, un bon film, un bon jeu de cartes ou autres.

Le soin ne porte pas sur le fait qu’on y a eu l’impression d’avoir posé un acte de génie susceptible de révolutionner le futur.

Le soin ne porte pas sur l’avenir de notre acte mais de notre présence à ce présent. J’y suis, j’y reste.

Structurer ses journées (dans la mesure du possible car tout ne dépend pas de nous), c’est aussi leur reconnaître leur valeur. Se lever, s’habiller, faire un emploi du temps seul ou avec les autres… bref vivre la journée de sorte qu’elle existe à nos yeux.

Rudes ou belles, ces journées vont peser sur nos vies. Peut-être l’une d’entre elles nous offrira-t-elle la rencontre prodigieuse avec Dieu ? L’éliminer d’emblée, c’est passer à côté d’une chance de traverser les champs secs, les plaines de poudre et de sable, pour atteindre l’oasis fraîche d’un acte d’amour, de ceux que Dieu affectionne : imprévus, presque improvisés mais si purs, si fougueux, si spontanés.

Dans un poème sublime, Palme, Paul Valery évoque la branche éponyme, qui s’alourdit de ses fruits. Il comprend combien il est vain de les cueillir trop tôt et de s’impatienter.

Quand il sera l’heure, les fruits tomberont, lourds de leur maturité, par la grâce d’un geste, d’un choc léger, d’un souffle venu d’ailleurs :

« Patience, patience,

Patience dans l’azur !

Chaque atome de silence

Est la chance d’un fruit mûr !

Viendra l’heureuse surprise :

Une colombe, la brise,

L’ébranlement le plus doux,

Une femme qui s’appuie,

Feront tomber cette pluie

Où l’on se jette à genoux ! »

Tout y est dit sous les oracles de la poésie…

+ Luc Ravel
Archevêque de Strasbourg

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