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Lettre pastorale : Par-delà la mer

« Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. » (Luc 5, 7)

Pouvons-nous vraiment nous en sortir seuls ? Je reviens souvent à ce texte de saint Luc qui nous avait été proposé par saint Jean-Paul II en l’an 2000, avec cet ordre vigoureux du Christ « Avance au large ». En obéissant à son Maître, saint Pierre lance les filets et ceux-ci craquent sous le poids de la pêche. Alors il se tourne vers les autres pêcheurs, pour rapporter la récolte merveilleuse. Il semble que le Seigneur nous invite à faire signe à une autre barque pour ne pas craquer ou chavirer. Cet appel sur la mer à une autre barque fait toute la matière de cette lettre pastorale. Un  diocèse se met en partenariat avec un autre diocèse pour la fécondité de la mission.

À l’écoute des signes

Un souci nous taraude, la préoccupation de la mission, alors que tous nos chiffres de la pratique s’effritent ou s’affaissent et que nous aurions envie de supplier comme les disciples d’Emmaüs désireux de retenir Jésus : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » (Luc 24, 29) Derrière ce soupir ou cette prière, se tient certainement le désir de rester dans la douceur de la route avec Jésus, ou bien, pour nous, le souhait de poursuivre la belle chrétienté que nous avons connue, avec la messe tous les dimanches dans notre église paroissiale remplie à craquer. « Notre coeur n’était pas tout brûlant en nous tandis qu’il nous parlait sur le route… » (Luc 24, 32) Ce souvenir gouteux nous tient encore mais, comme pour les disciples d’Emmaüs, le Christ ressuscité disparaît aux yeux. Sans nous abandonner, le Christ est présent d’une autre manière.

Nous cherchons ou nous attendons une nouveauté capable de nous rendre le rire de l’Espérance. Nous sentons que ce ne sera plus « comme avant » mais que le Christianisme n’est pas mort, que l’Évangile est toujours jeune et que l’Église, esquintée par des misères internes, demeure la mère de la grâce.

Cette nouveauté, nous devons la recevoir de Dieu comme un trésor ou une semence. Raison pour laquelle la première qualité du chrétien en ce début de siècle reste l’écoute de la Parole et la perception des signes que Dieu nous fait, une écoute attentive car le Seigneur n’arrive pas dans la tempête mais dans une brise légère. Il ne crie pas plus fort que les vents contraires, il murmure ces appels avec clarté mais sans forcer le ton. Sans forcer le trait. Sans forcer les esprits.

Seul, nous n’entendrons que les bribes de ses appels, ensemble nous pouvons reconstituer le message porté par ces signaux faibles. Cet appel est à intégrer dans la dynamique du Synode. Ensemble nous discernerons la forme concrète à donner à nos nouveaux élans.

Un signe des temps, l’Afrique

Parmi ces signes, comment ne pas voir celui de nos relations avec l’Afrique ?

Il est juste de remarquer que nos contacts et nos collaborations vont aussi vers des pays d’Europe, la Pologne par exemple ou la Roumanie, mais aussi d’autres continents. Citons l’Asie du Sud-Est avec la Corée et le Vietnam ou encore l’Amérique latine. Cependant, l’accueil de nombreux prêtres venus de plusieurs pays d’Afrique ne peut pas ne pas résonner chez nous d’une manière singulière en raison de leur nombre, qu’ils soient fidei donum ou étudiants, mais aussi de la proximité géographique et culturelle. À l’instar d’autres diocèses français, ils forment une part  importante de notre présence sacerdotale et cela dans pratiquement toutes les régions d’Alsace.

Je les remercie tous de leur action, parfois réduite à cause d’une santé fragile, d’autres fois partagée entre la pastorale de terrain et leurs études à l’Université. Leur générosité et leur engagement nous sont connus bien que, dans certains cas, surgissent des difficultés d’adaptation à un autre univers que le leur. Des liens profonds se sont établis entre eux et nos diocésains, avec des échanges et de véritables entraides.

Mais, au-delà du cercle des prêtres, dans les populations comme dans nos pratiquants, nous constatons avec bonheur une présence de plus en plus forte de personnes d’origine africaine, fidèles et pleines de vitalité. Je pense à des chorales ou mouvements de jeunesse, mais aussi à des engagements dans nos conseils de fabrique ou nos associations. Par ailleurs, personne ne peut oublier ces jeunes migrants arrivés chez nous après des itinéraires compliqués et pleins de risques, et les images de traversées improbables hantent notre coeur avec le scandale de ces radeaux chavirant en pleine Méditerranée.

L’Afrique est là toute proche, elle est chez elle et elle est chez nous. L’exclusion ou la réexpédition ne peut pas être la « solution » chrétienne.

Seule l’intégration répond aux droits fondamentaux. L’intégration véritable va au-delà d’un accueil efficace, et elle suppose des volontés et des structures. Nous n’avons pas fini d’y réfléchir et d’y travailler. Néanmoins, notre propos et proposition ne visent pas la question nécessaire de l’intégration, ils cherchent à dépasser la question de l’accueil pour celle d’un partenariat. Un partenariat entre égaux.

Pour le dire autrement, le signe de temps que forme l’Afrique ne peut  se résumer à la question de l’intégration chez nous. Une « vision » semble s’imposer à nous, inspirée de celle reçue par Saint Paul alors qu’il est à Troas (l’ancienne ville de Troie) : « Pendant la nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut, et lui fit cette prière : Passe en Macédoine, secours-nous ! » (Ac 16, 9) Il n’est besoin pour nous ni de songe ni de vision mais de sentir par le coeur ce qui se dessine au présent et nous indique une route pour l’avenir. Elle ne sera plus d’aller chez eux pour les évangéliser, ni qu’ils viennent chez nous pour nous remplacer, il s’agit de s’associer pour évangéliser ici et là-bas. Un pied sur une rive de la mer et un pied sur l’autre. Cette « association » ne se nommera pas jumelage, mais prendra le nom moins « usé » de partenariat, lequel insiste sur une oeuvre commune, une collaboration effective, pour nous la mission.

Avance au large

Dans notre temps, a retenti l’appel de Jésus indiqué en introduction : « Avance au large ». On peut (et on doit) le comprendre de plusieurs manières : avance en eaux profondes, dans l’intériorité et la prière. Va aux périphéries de ton quartier et de ton monde social, très éloignés de l’Église malgré la proximité géographique, etc.

Ce commandement de Jésus fait à Pierre nous implique localement à travers les recherches pastorales, des tentatives remarquables pour relancer une dynamique. Où que j’aille en Alsace, j’admire ces prises de conscience et ces expérimentations dont certaines réussissent et d’autres pas encore, ce qui est normal. Or, toutes ces initiatives locales peuvent aussi entendre dans cet « avance au large » un sens d’ouverture à la complémentarité. Comme si nous ne pourrions pas nous en sortir tous seuls mais, tel Pierre dans sa barque, nous devions faire appel à l’autre barque pour valoriser la pêche miraculeuse : « Ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. » (Luc 5, 6-7) Allons-nous faire signe à l’autre barque ?

Dans la société comme dans l’Église, il se dit qu’il faut sortir de l’entre-soi. Les réseaux sociaux, les plateformes numériques, l’Internet dans chacune de nos poches, nous ouvrent l’espace du monde, parfois de façon désordonnée. Mais cela suffit-il pour nous faire respirer au large, pour sortir de nos confinements pastoraux ? Un des signes des temps est incontestablement de s’allier avec d’autres, de nous extraire de nos problèmes personnels ou communautaires qui s’imposent à nous avec récurrence, au point de nous aveugler parfois sur le reste du monde. Bref, on n’affronte pas forcément ses défis en comptant sur ses seules forces mais en s’ouvrant aux forces des autres. Cette façon de raisonner semble contrintuitive dès que nous sommes absorbés par l’instinct de survie au point de ne plus voir les autres autour de nous. Et pourtant, chacun pourrait se faire le témoin qu’en sortant à la rencontre des autres, il aura retrouvé un équilibre que l’enfermement sur soi lui refusait.

Une visitation ivoirienne

Avance au large. Une manière de répondre à cette orientation nouvelle de la mission, consiste peut-être à respirer pastoralement de façon plus large, au-dessus de la Mer Méditerranée, en nous inscrivant dans un partenariat de type nouveau, avec un diocèse de Côte d’Ivoire, le diocèse de Grand-Bassam. Deux diocèses dans une seule Église catholique.

Au mois de mars 2022, nous étions une petite délégation de trois personnes dont moi-même à franchir la Méditerranée, à survoler l’immense désert saharien pour rendre visite à ce diocèse où il y a des siècles l’Évangile est entré dans ce magnifique pays, par la côte, sur le front d’océan dessiné par les plages et coupé de vastes lagunes.

Il ne s’agissait pas de faire du tourisme mais d’entrer en contact pour vérifier la possibilité d’établir un partenariat d’un nouveau type, quelque chose qui n’existe pas encore malgré de très  nombreux jumelages existant dans les autres diocèses de France. Comme le disait le vicaire général de Grand Bassam, « nous faisons l’expérience d’une nouveauté ».

Nous avons trouvé un diocèse en consonance totale avec nous. Et, depuis septembre 2022, en réponse à notre visitation, nous avons accueilli trois prêtres de ce diocèse dans le nôtre.

Quelques raisons missionnaires de ce partenariat

L’histoire de l’Alsace chrétienne est avant tout une histoire missionnaire avec des échanges constants bien au-delà de notre région. Il n’est pas besoin de le développer dans cette lettre pastorale.

Les Ivoiriens ont l’énergie et nous avons l’expérience. D’une certain façon, nous répondons à cette complémentarité entre les « jeunes et les vieux » dont parle souvent le Pape François. Quelques visites dans les paroisses de Grand-Bassam nous ont montré cette jeunesse formidable.

Le Nord et le Sud ensemble nous permettent de vivre la catholicité de l’Église : une invitation à respirer au large non plus d’Est en Ouest comme saint Jean-Paul II nous y invitait en évoquant les deux poumons de l’Église, mais du Nord au Sud, avec nos charismes propres.

L’Europe sera-t-elle fermée sur elle-même ou ouverte à l’Afrique ? On ne perd pas son identité par les liens avec les autres si on sait d’où l’on vient, qui on est et où on va. L’Europe dans l’entre-soi ou dans la relation, c’était déjà un des thèmes abordés par Pie XII, le 13 juin 1957, au congrès du PPE (Parti Populaire Européen) :

Vous avez considéré les problèmes de l’association de l’Europe et de l’Afrique, auxquels le récent traité du Marché commun a réservé une place notable. (…) Ainsi prouvera-t-elle (l’Europe) que sa volonté de former une communauté d’États ne constitue pas un repliement égoïste, qu’elle n’est pas commandée par un réflexe de défense contre les puissances extérieures, qui menacent ses  intérêts, mais procède surtout de mobiles constructifs et désintéressés. »

Pourquoi le diocèse de Grand-Bassam ?

De nombreuses raisons peuvent être avancées à ce jour concernant le choix de ce diocèse de Grand Bassam, en ajoutant que ces raisons ne dévalorisent en rien les autres diocèses avec lesquels nous avons de nombreux échanges.

Il y a d’abord une histoire commune depuis trente ans avec des hommes venus étudier et travailler chez nous et qui ont rejoint leur diocèse d’origine pour y prendre des responsabilités importantes.

C’est un diocèse très organisé, adulte bien que jeune (40 ans d’existence) qui peut ainsi « correspondre au nôtre » par sa taille et son administration. Par ailleurs, nous avons pu constater que leurs défis d’évangélisation se présentent comme les nôtres même si leurs communautés sont jeunes et pleine de vitalité.

La Côte d’Ivoire est un pays resté francophone et très francophile. Y aller pour un séjour de quelques jours ou de quelques mois ne pose aucun problème de langue ou de contexte. Les contacts  peuvent y être directs et aisés.

Par des vols journaliers pratiquement sans décalage horaire, le pays se présente comme facile d’accès et sécure au plan politique. En réalité, l’aéroport d’Abidjan est sur le diocèse de Grand Bassam. Si, par la suite, des séjours s’organisent pour des jeunes, la sécurité y est aujourd’hui assurée ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’autres pays très instables.

Et parce qu’ils ont dit oui. Sans cet accord net et franc, rien n’aurait vraiment commencé. J’ose croire que l’Esprit a travaillé en parallèle dans nos deux diocèses et l’accord sur le contenu de ce partenariat s’est fait immédiatement.

Le contenu du partenariat : la fraternité

De suite, il est apparu que nous n’étions pas assis autour d’une table pour discuter d’aide ou d’entraide, d’assistance diverses ni même d’envoi de prêtres pour suppléer à nos manques d’effectifs  sacerdotaux. A regarder de près, ils ont moins de prêtres que nous par rapport au nombre de catholiques et de catholiques pratiquants.

En ce sens, notre CCFD et toutes nos structures d’entraide vers l’Afrique continueront leur nécessaire soutien à ce diocèse et aux autres. Dans nos esprits, se présente quelque chose d’un nouveau type, sans relation de riches et de pauvres, sans rapport utilitaire. Comme dans certains sports, le tennis par exemple, nous voulons jouer la partie de la mission « en double ».

Une formule est spontanément jaillie de nos entretiens : le contenu du partenariat, c’est la fraternité. Et cette remarque nous rapporte à la première communauté des douze Apôtres à l’intérieur de laquelle existent des fraternités de sang. Ainsi Pierre et André, Jacques et Jean. Ces fratries ne vont pas défaire l’unité de l’Église, mais elles la consolident. Elles ont permis à Pierre de découvrir le Messie grâce à André.

Comment cette fraternité peut-elle se mettre en oeuvre ? Il nous est apparu qu’il était nécessaire de tisser des liens fraternels de personne à personne puis de communauté à communauté, de  groupe à groupe, de région à région. Spontanément, à partir d’initiatives du terrain, les gens se découvrent et s’unissent par-delà les terres et les cultures. Les Alsaciens ont de tout temps respiré  l’air de la catholicité à travers les missions : telle famille avait un fils ou une fille missionnaire à l’autre bout du monde et le soutenait. Telle paroisse recevait la visite d’un père blanc ou d’un spiritain et se nourrissait de son témoignage. Etc. Savoir qu’un frère ou une soeur catholique est là-bas avec qui nous échangeons sera la respiration de notre élan chrétien.

Et les autres initiatives et jumelages ?

Que faire alors des liens déjà créés avec d’autres pays dont certains de nos prêtres sont originaires ? Nous ne les oublions pas et nous savons combien ces prêtres venus d’ailleurs aiment leur pays.

Ce que nous initions avec ce partenariat de diocèse à diocèse ne va pas contre ces liens profonds. Toutefois, il met en valeur la dimension diocésaine de notre mission, celle de l’Église particulière, petite barque mais vraie barque sur la mer du monde. Les initiatives locales devront, elles aussi, s’ouvrir à cette dimension diocésaine et missionnaire.

Que faire concrètement ?

Une équipe diocésaine se met en place avec le service de la Mission universelle pour faire connaître cet appel au partenariat. Symétriquement, une équipe similaire sera nommée à Grand Bassam de sorte que nous puissions écrire avec elle une magnifique aventure missionnaire. Nous la construirons ensemble, avec eux, avec vous.

Pour ceux qui le peuvent, il sera bon d’aller voir sur place. Laïcs, évêques, prêtres, diacres au cours de ces prochaines années, allons à Grand Bassam ou envoyons-y des personnes, des jeunes en particulier, pour découvrir la chaleur de l’accueil et la fécondité de relations gratuites et fraternelles. J’ai moi-même passé une semaine accueilli par l’évêque de Grand-Bassam, Monseigneur Raymond Ahoua. Tout né d’une rencontre…

Et à deux barques, nous pourrons tirer à terre les filets de la mission.

Des moyens pour vivre ce partenariat :

L’équipe diocésaine de pilotage – en lien étroit avec le diocèse de Grand Bassam – a pour rôle de sensibiliser tout le diocèse et sera ensuite amené à coordonner l’action dans l’esprit d’une charte qui sera établie courant 2023. Elle aura en particulier le souci de collaborer avec les acteurs pastoraux des différentes zones pastorales, les différents organismes diocésains, et d’être en lien avec les communautés religieuses, mouvements… Ainsi, les catholiques du diocèse seront rapidement intégrés dans le projet.

Pour s’ouvrir à cette fraternité, nos relations ont à se développer à plusieurs niveaux :

  • Premier niveau : des visites réciproques. Le partenariat s’inscrit dans le contexte plus large des relations entre Églises : visites fraternelles entre évêques, agents pastoraux, laïcs…
  • Deuxième niveau : des rencontres dans les différentes zones de notre diocèse. Puisque c’est un partenariat d’Églises, l’implication des paroissiens est très importante. Imaginer ensemble et localement des pistes et des initiatives qui nous permettront de découvrir le diocèse de Grand Bassam, de mieux se connaitre pour que puisse s’établir un échange de vie et d’énergie entre nos deux diocèses.
  • Troisième niveau : des zones pastorales élargies ! Permettre à des cho-ses simples de prendre forme localement et s’enrichir de nos différences. Imaginer un échange entre deux paroisses, entre écoles, mouvements, partager des liens de vie spirituelle (un temps de prière nous relie par exemple), des jeunes qui correspondent, des artisans qui s’accueillent dans leurs spécificités…
  • Quatrième niveau : des échanges d’informations dans les médias diocésains. Une attention à ce qui se vit de part et d’autre ; ce qui suppose un échange régulier d’informations sur la vie de nos deux diocèses.
  • Cinquième niveau : des échanges de compétences en vue d’un enrichissement mutuel. Des échanges qui se traduisent principalement sur le plan pastoral et culturel : partages d’expérience, d’acteurs pastoraux, de volontaires laïcs, jeunes…

Luc RAVEL
Archevêque de Strasbourg

N.B. Une liste des personnes à contacter (notamment les membres de l’équipe pilote) sera prochainement diffusée.

Voici déjà l’adresse de l’équipe pilote : partenariat.grand.bassam@diocese-alsace.fr

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