Je donne à l'église
nos paroisses
Horaires de messes
GoMesse

L’homélie du jour

Homélie du 28 mars 2024

« Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout », c’est-à-dire jusqu’au don de sa propre vie. C’est dans sa Passion désormais toute proche, que Notre-Seigneur s’apprête à nous manifester l’absolu de son amour. Cependant la présentation du quatrième évangile suggère que la charité divine nous est davantage encore révélée dans l’anticipation eucharistique du sacrifice rédempteur, qui nous assure sa permanence sacramentelle.

Au cœur de la Révélation de l’amour miséricordieux, se situe, comme son sommet indépassable, le Mystère de la très Sainte Eucharistie dans laquelle l’Agneau demeure disponible, en état d’immolation permanente, tel un sacrifice de propitiation toujours offert pour nos péchés.

Nous ne trouvons pas le récit de l’institution de l’Eucharistie dans l’évangile selon Saint Jean, pour la bonne raison qu’à la fin du premier siècle, celle-ci constituait déjà le cœur de la vie liturgique de la communauté. Mais les commentateurs sont unanimes pour interpréter le lavement des pieds comme un approfondissement du sens de ce que le Christ réalise pour nous dans chaque Messe. Il est d’ailleurs significatif que l’évangéliste situe la scène « au cours du repas », cette expression introduisant généralement les récits de l’institution de l’Eucharistie.

Or ce n’est pas au milieu du repas qu’on lave les pieds des convives, mais à leur arrivée et avant de passer à table. Interrompre la commensalité pour procéder aux ablutions est déjà pour le moins anachronique ; mais quand de plus c’est le président de table qui en prend l’initiative, la situation devient franchement choquante : n’y a-t-il plus assez de serviteurs ou d’esclaves pour remplir ce service qui leur revient ? Il est clair que Jésus a voulu intentionnellement focaliser l’attention sur ce geste pour lui donner un sens prophétique.

Cependant, le bouleversement hiérarchique suggéré par l’attitude de Jésus est franchement insupportable pour Pierre, et on le comprend. L’apôtre perd tous ses repères et ne sait plus comment réagir. Pensez donc : si dans une barque de pécheurs, le chef d’équipe lâchait la barre pour venir ramer avec les autres, l’embarcation ne chavirerait-elle pas ? Si le Maître prend la place du serviteur, lui, le disciple, où doit-il se situer ?

Déjà Simon-Pierre avait été sérieusement bousculé, et même profondément troublé, par les annonces de la Passion, mais cette fois s’en est trop : « Je t’en prie, Seigneur, reste à ta place : « non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! »

Comment pourrions-nous supporter que le Très-Haut s’abaisse devant nous pour nous laver les pieds ? Comment consentir à une telle humiliation du Tout-Puissant, qui met radicalement en cause toutes nos conceptions de Dieu ?

Peut-être aussi l’attitude de Jésus exprime-t-elle avec une telle force le prix que nous avons à ses yeux, que cette prise de conscience nous est insupportable : nous pressentons bien la démesure entre le profond respect du Christ pour nous et l’abîme de péché qui nous habite.

Et pourtant, ce simple geste n’est rien à côté de ce que Jésus réalise pour chacun de nous dans chaque Eucharistie. Car c’est bien dans l’état d’esclave qu’il se propose à nous sous les apparences du Pain et du Vin : « Ceci est mon Corps livré pour vous ; mon Sang versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. » Sans rien exiger en retour, Jésus nous offre le mémorial de sa Passion pour que nous puissions bénéficier sans cesse du fruit de sa Rédemption.

Non, ce ne sont pas seulement nos pieds que Jésus veut laver : c’est tout entier qu’il veut nous purifier, en nous incorporant à lui par la communion eucharistique.

Telle est la logique déconcertante de la Croix : c’est en consentant à se laisser engloutir dans la gueule de la mort que Notre-Seigneur en triomphe ; de même c’est en se laissant incorporer dans notre humanité marquée par le péché, que Jésus nous libère, nous sauve, nous guérit. A chaque communion, nous permettons un peu plus au Seigneur de réaliser le mystère de l’incarnation rédemptrice dans notre vie personnelle : c’est bien réellement qu’il fait sa demeure dans nos cœurs, d’où il investit les facultés de notre âme, pour nous atteindre jusque dans notre corps, tant son union est personnelle et intégrale, et nous touche dans toutes les dimensions de notre être.

« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».

Si le lavement des pieds pouvait nous laisser l’illusion d’un service transitoire, au terme duquel nous pourrions « rendre notre tablier » et reprendre notre indépendance, l’interprétation eucharistique du geste nous ramène à une toute autre réalité. Dans l’Eucharistie, Jésus demeure pour toujours en état d’oblation permanente. Le ministère de serviteur devrait donc être pour le chrétien un état permanent ; nous devrions être à chaque instant, comme Jésus eucharistie, dans un total renoncement à nous-mêmes et un engagement de tout notre être au service des autres : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».

Une telle exigence est bien sûr infiniment au-dessus de nos forces, le Seigneur le sait bien. C’est précisément pour cela qu’il a institué le sacrement de l’Eucharistie, afin de pouvoir lui-même accomplir en nous le précepte de l’amour. C’est en effet dans la mesure où nous nous unissons au Cœur eucharistique du Christ, que nous lui permettons d’opérer ce débordement « ad extra » de l’amour trinitaire, que nous appelons charité fraternelle.

Que ce triduum pascal soit pour nous l’occasion de faire un examen de conscience sur notre hiérarchie de valeurs : « Vous m’appelez “Maître” et “ Seigneur ” et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». Heureux celui qui entend ces paroles et les met en pratique : il est déjà ressuscité, car seul l’Esprit du Christ peut accomplir en nous les préceptes qu’il nous confie.


Abbé Philippe Link

Partager