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Insubmersible concordat

Dites « concordat » en France aujourd’hui, et on pensera « Alsace-Moselle ». En effet, le vieux traité conclu par Napoléon avec le Saint-Siège en 1801, classé aux archives ailleurs en France, s’applique encore dans les trois départements de droit local. Autour de lui, d’autres textes organisent un droit des cultes particulier. Deux cent quatorze ans après sa signature.

Le 20 mai 2016, pour ses 75 ans, Mgr Jean-Pierre Grallet, archevêque de Strasbourg, enverra au pape François sa lettre de démission. En cela, il obéira au droit de l’Église catholique, le droit « canonique », qui impose depuis Paul VI cet âge limite pour tous les évêques de la planète.

Mais cette démission déclenchera un mécanisme de droit international qui n’existe plus que dans deux diocèses au monde : la nomination d’un évêque par un chef d’État. Les diocèses de Metz et Strasbourg restent en effet les deux seules circonscriptions ecclésiastiques catholiques (sur 2 966) dont les évêques sont nommés par un État.

C’est là un fruit du concordat de Napoléon, qui subsiste en Alsace-Moselle. Appliqué dans toute la France au XIXe siècle, il a été dénoncé par la IIIe République au début du XXe. Mais cette rupture ne pouvait concerner l’Empire de Guillaume II et son Reichsland Elsass-Lothringen – l’actuelle Alsace-Moselle.

Le concordat – et les textes de droit français qui l’ont accompagné – a donc été maintenu dans les trois départements lors du retour à la France après la Grande Guerre, et il est toujours d’actualité dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle.

Le catholicisme, « la religion de la majorité des citoyens français »

Quand le Premier consul Napoléon, après les tourmentes de la Révolution, rouvre les négociations avec le Saint-Siège, il ne pense pas à l’Alsace. Il entend rétablir une paix durable avec l’Église catholique romaine, « la religion de la grande majorité des citoyens français » – comme le reconnaît le préambule du concordat. En même temps, il entend contrôler le haut clergé. En face, l’Église catholique espère cicatriser les blessures nées de la Révolution : prêtres « jureurs » et réfractaires, expropriation des biens d’Église.

Un « traitement convenable »

Quand Joseph Bonaparte, frère du Premier consul, l’administrateur Emmanuel Cretet et le cardinal Ercole Consalvi, représentant du pape Pie VII, paraphent le traité du 26 messidor an IX (15 juillet 1801), c’est donc un texte de compromis.

Ses 17 articles encadrent les relations Église-État. Le pouvoir civil nommera les évêques ; ceux-ci prêteront serment, mais recevront l’investiture canonique (qui en fait les successeurs des Apôtres) du pape seul. Le pouvoir agrée aussi une série de nominations de curés. La carte des diocèses sera redessinée – Colmar y perdra son éphémère diocèse.

En contrepartie, cathédrales et églises seront remises à la disposition du culte, qui renonce à revendiquer d’autres biens d’Ancien Régime. Le clergé sera rémunéré d’un « traitement convenable ». Une prière pour la République ( Domine, salvam fac Rempublicam ) sera chantée à certains offices. Enfin, le concordat sera renégocié si les successeurs du Premier consul se trouvaient n’être plus catholiques…

Le concordat a été ensuite complété unilatéralement par les articles organiques de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) – qui créait aussi un régime analogue pour les protestants. Le statut du culte juif sera, quant à lui, solidifié en 1806-1808, puis au milieu du siècle.

Ce droit des cultes, que Napoléon avait voulu pour la République, puis l’Empire, est aujourd’hui replié sur trois départements. Bizarrerie de l’histoire qui a plusieurs fois été remise en question, sans que les opposants au droit concordataire n’arrivent à torpiller le texte.

En 2013, le Conseil constitutionnel valide l’exception concordataire

Lors du retour à la France, Clemenceau, qui souhaite renouer des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, accepte de prolonger le statut. En 1924, quand le Cartel des Gauches veut l’effacer, la mobilisation en Alsace le contraint à y renoncer. Après la Seconde Guerre, Mgr Jean-Julien Weber, évêque de Strasbourg, aidé par Pierre Pflimlin, protège le concordat et le statut scolaire local. Au milieu des années cinquante, le gouvernement Guy Mollet est contraint de renoncer au troc qu’il avait envisagé : abandon du concordat contre soutien d’État à l’école catholique. Enfin, en 2013, le Conseil constitutionnel, saisi par une question prioritaire de constitutionnalité, valide le droit local des cultes, estimant que les constituants de 1946 et de 1958 n’avaient pas entendu le supprimer.

Deux cent quatorze ans après sa signature, le concordat de Napoléon et Pie VII est donc toujours appliqué en Alsace-Moselle.

L’État y nomme – de fait, aujourd’hui, confirme – les évêques catholiques et les trois principaux dirigeants de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (EPCAAL). Il a son mot à dire dans la nomination d’autres cadres cultuels et sur le découpage des circonscriptions ecclésiastiques. Il dépense environ 60 millions d’euros pour rémunérer quelque 1 400 prêtres, permanents religieux, pasteurs et rabbins.

Par ailleurs, les autres cultes, dits non statutaires (islam, bouddhisme, autres chrétiens, etc.) y ont aussi des droits particuliers : la non-application de la loi de Séparation autorise les collectivités publiques à les subventionner.

La lettre et l’esprit

En deux siècles, l’esprit du concordat a changé, si la lettre demeure. L’État, les collectivités locales et les cultes concernés voient ce droit concordataire comme un partenariat, semblable à celui qui existe entre États et Églises dans de nombreux pays d’Europe.

Une opposition demeure, au nom de la laïcité, dans les trois départements comme ailleurs. Mais elle n’a, jusqu’ici, pas trouvé le poids politique pour noyer le concordat. La « fenêtre de tir » ouverte par l’élection de François Hollande en 2012, qui avait promis de « constitutionnaliser les principes de la loi de 1905 » – réelle menace pour le droit local des cultes – est aujourd’hui refermée.

Dans l’autre sens, l’idée, maintes fois évoquée depuis les années 80, d’élargir ce droit aux cultes plus récents – et notamment à l’islam – semble désormais moins d’actualité : le Conseil constitutionnel ayant largement verrouillé, par un autre arrêt, tout élargissement novateur du droit local (Somodia, 5 août 2011).

[source : D.N.A. du 26/08/2015 – Jacques Fortier]

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