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Homélie de la Vigile Pascale

15 avril 2017 à la cathédrale de Strasbourg

L’approche humaniste de la Résurrection de Jésus.

L’amitié est belle ! Elle nous fait pleurer sur un ami malade ou mort, elle nous rend heureux de sa guérison, quand nous apprenons qu’il a traversé les ravins de la nuit. Car il en va ainsi de la rencontre intérieure entre amis. Malgré notre individualisme, nous embrayons volontiers sur les joies et les peines de ceux que nous aimons. Nous nous sentons comme « obligés » par leur santé et leur bonheur.

Du coup, si nous avons quelqu’attache de cœur avec Jésus, nous nous laissons pénétrer de cette bonne nouvelle : il est vivant. Derrière lui, son lot de ténèbres épaisses. Devant lui, une belle éternité d’amour. Les coups sont devenus caresses. Les clous, tendresses. Et nous en sommes heureux dans la mesure où nous avons une certaine affection pour le Christ.

La première joie au jour de Pâques se donne à nous dans cette attitude humaniste, remplie de chaleur et de sympathie. Un peu de compassion pour cet homme qui a livré son corps pour nous se transforme en un peu de bonheur à savoir qu’il s’en est sorti. Comme diraient, au sujet du Christ, les hommes conscients de la valeur humaine : voilà un beau symbole pour  initier des vies données.

Mais, sans négliger cette joie du bel exemple, prenons conscience qu’elle ne nous fait pas entrer dans le mystère de la Résurrection. Notre lecture du mystère de Pâques n’a que très peu à voir avec tout ce que peuvent nous en dire les humanistes.

De la vraie joie du Ressuscité, nous pouvons parler avec foi.

Le retour à notre existence

Pour la découvrir, prenons en charge cette question parfois si cruelle : et après ? Certaines personnes ne se laissent pas prendre au rythme des mots. Elles se méfient du ciel des idées et nous recollent tout de suite à la réalité : « tout ça c’est très bien mais au fond qu’est-ce que cela change vraiment pour nous ? » Ce pragmatisme peut bien nous agacer. Il nous oblige. Il nous contraint à retourner à notre vie concrète : « Tant mieux pour le Christ mais, pour nous, qu’est-ce que cela a modifié ? Que sa mort et sa Résurrection nous inspirent de bons sentiments, personne ne le conteste. Mais les bons sentiments durent peu. Ils reculent vite devant le poids de mort. Le mal est tenace et il balaye notre existence avec une belle régularité. »

Et revenant à la réalité, nous pourrions ajouter : « Dans le fond, depuis Socrate, ils sont nombreux à nous émouvoir par leur vie et par leur mort. Qu’apporte Jésus de différent puisque notre existence concrète supporte toujours le mal depuis vingt siècles ? » Et si, par manque de connaissance historique, nous hésitons à répondre à cette question, il nous suffit de nous comparer avec nos concitoyens de la même génération : « Sommes-nous si différents des autres parce que nous sommes chrétiens ? »

Ce questionnement a le mérite de nous éviter le piège du message désincarné. Combien de fois avons-nous entendu ou proclamé le message de la Résurrection : « Christ est ressuscité ! » mais sans effets notables sur notre comportement ? Comme si l’Evangile n’était qu’un conte pour endormir les enfants alors qu’il est une pédagogie pour une vie enracinée dans le réel.

Nous avons l’audace d’annoncer une métamorphose réelle par une joie jusque-là inconnue. L’Evangile nous presse de participer de cette joie née de la Résurrection du Christ. Et qui ne voudrait de cette joie qui se superpose à toutes les autres joies ?

L’inquiétude du cœur :

Ce sont les précisions psychologiques de l’évangile (Mt 28, 1-10) qui vont nous guider pour découvrir l’existence de cette joie et sa caractéristique principale, tout à fait étonnante, une qualité qui la signale comme venant d’un Autre monde.

Les femmes viennent de grand matin pour « regarder le tombeau » que gardaient les gardes. Dans un grondement terrible, un Ange à « l’aspect de l’éclair » tombe du Ciel, roule la pierre et s’asseoit dessus. Tout est orchestré pour saisir les spectateurs de stupeur, les hommes comme les femmes. Et c’est bien ainsi que réagissent les hommes, pourtant forts et armés : « Dans la crainte qu’ils éprouvèrent, ils se mirent à trembler et devinrent comme morts. » On attendait une autre attitude de la part des guerriers.

Et l’Ange ne s’adresse pas à hommes. Il ne parle qu’aux femmes pourtant saisies elles-mêmes de la même crainte : « Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. » C’est que l’ange de Dieu a décelé une ouverture dans le cœur des femmes, autre chose que la peur panique : il a saisi la quête de leur amour. Aux femmes inquiètes de Jésus, Dieu communique le message de la Vie. Aux hommes payés pour sceller la tombe, pour garantir que la mort a toujours le dernier mot contre la vie, il ne livre rien. Il les laisse dans leur peur et celle-ci va tourner à  la corruption puis au mensonge.

Ne reçoivent le message qui plante la joie dans le cœur, que les hommes qui se portent vers le Christ avec une inquiétude aimante. Où est-il ? Dans quels hommes souffrent-ils ? En quels corps meurt-il ?

N’accueillent la joie que les cœurs emplis d’une telle amitié pour Lui que même la mort ne les arrête pas.

Une joie insolite mêlée de crainte :

L’indication suivante nous est extrêmement précieuse : les femmes ne repartent pas avec un sentiment unique mais dans une effervescence intérieure, produit d’un mélange surprenant : « Vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie. » Malgré le message de l’ange, la crainte ne les a pas quittées. La rencontre avec le Christ quelques pas plus loin le confirme : « Soyez sans crainte. », leur dit-il à nouveau.

La joie proposée par la Résurrection est grande mais non exclusive : elle marche avec d’autres sentiments, la peur, par exemple, et, par extension, tous ceux qui nous traversent ou nous occupent. Elle se combine avec eux, tout en étant une vraie et une grande joie.

Déjà cette joie était annoncée dans les Béatitudes où les bonheurs vont avec les larmes. Mais ici elle se réalise. C’est la grande particularité de cette joie divine : elle a le même goût que celle du paradis dont les maux sont exclus. Mais sur terre elle n’est pas une joie après les misères. Ce n’est pas une joie qui commence quand les malheurs s’arrêtent. Elle les pénètrent. Elle nous permet de les supporter. Davantage, elle rend notre fardeau moins lourd, nous permet de porter celui des autres, d’arroser le monde d’une eau fraîche. Elle nous fait avancer quand on a envie de tout lâcher. Elle porte en nous le monde et sa brutalité.

La Résurrection du Christ n’a donc pas arrêté subitement la trajectoire de la mort et de la misère. Ni même celle du péché. Saint Paul nous parle encore du « corps du péché » qui nous pique ou nous blesse. Mais la Résurrection du Christ plante, au centre de celui qui est inquiet pour Jésus, une joie nouvelle, pure comme l’Espérance de Marie.

Avec nos lots de douleurs et  notre inquiétude pour le Christ, profitons de la joie pascale.

+ Luc Ravel

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